jeudi 7 juillet 2011

Ligne 9


 Jeudi matin. 9H22. Miromesnil. Rude montée dans un wagon bondé qui s’offre à tous, au prix de quelques efforts. Bras, jambes, corps, têtes, sacs, poussettes, journaux, cafés s’emmêlent, s’enchevêtrent, s’enlacent. L’espace est une denrée rare qui les soude, les saoule, maussades.

9h24. Saint Philippe du Roule, ce n’est pas le terminus, tout le monde descend. De l’air, enfin. Soulagement. A droite, une femme, enceinte, appuyée sur un strapontin. A côté d’elle, une jeune fille, aux cheveux penchés sur son téléphone. Un homme s’égare dans ses pensées, dans son vague souvenir de rêve, dans sa bulle, dans son livre. Dans son livre, oui, c’est cela. La délicatesse. Quel titre intéressant.  Opaque, mais subtil. Et ces personnages… Nathalie, François. Drôles de prénoms pour un roman actuel. Désuets, mais classiques. Tout le monde connaît une Nathalie et un François. Ou peut être pas.

9h26. Foenkinos a beau attirer toute son attention, il perçoit du coin de l’œil un éclat blanc entre ses deux camarades de voyage. Illusion d’optique ? Flash lumineux ? Reflet hasardeux ? Non, ce scintillement est bien réel. Impunément propulsé, il le voit. Plié en trois morceaux. Un billet, de quelques dollars. Sorti de nulle part, il vole, tombe, inexorablement. Glisse le long des jambes inconnues, aguicheur. Caresse les cotons et les cuirs des souliers. Et termine sa chute au sol, las, impuissant, seul, inconsidéré. La ligne 9 défile sous leurs pieds.

9h30. Alma Marceau. Il ne parvient plus à se concentrer sur sa délicatesse. Mais qu’en ferait-il, après tout, de ces quelques sous ? Nathalie et François se rencontrent. Il les rangerait dans son portefeuille. Ils se marient. Peut être les donnerait-il à quelqu’un dans le besoin. Ils apprennent à découvrir la vie conjugale, les rires, l’ennui, la fidélité. Mais comment savoir qui en a le plus besoin ? Nathalie reçoit un coup de fil. Quel coup du sort.

9h32. Iéna, Trocadéro. Annonce mécanique d’« un colis piégé ». Un strapontin déplié. Un bâillement. Un étirement. C’est tout de même fou que personne ne prête attention à ce bout de papier.
9h34. Rue de la Pompe, dans l’indifférence générale.
9h36. La Muette devrait s’appeler l’Immobile.
9h37. Ranelagh. Vague râle, pâle rame. En route pour le vain air… Loin, derrière, la peine du billet vert.




Crédit photo : Michael McQueen / Getty Images